C’est une passion et un talent qui ont eu la chance d’avoir pu
s’épanouir dans une ville considérée parmi les plus musicales d’Europe. A
Dresde, Hartmut Haenchen a fait toutes ses classes, a découvert très tôt
son goût pour la direction et a parfait son art aux côtés de Kurt Masur
et d’autres monuments incontournables. Personnage à l’élégance sobre et
naturelle, l’Allemand est de retour à Genève, où il nous reçoit pour
évoquer sa plongée dans les trames du Così fan tutte. Une œuvre que le Grand Théâtre présente dans une mise en scène de David Bösch.
Que représente cet ouvrage de Mozart dans votre parcours de chef?
A vrai dire, je m’y suis confronté rarement, la première fois remonte
aux débuts des années 70. Il y a eu d’autres occasions par la suite, à
Berlin et à Tokyo notamment, mais cela fait très longtemps, 35 ou 40 ans
déjà.
Aujourd’hui, donc, vous redécouvrez l’œuvre. Dans quel état d’esprit?
Il a fallu repartir de zéro, j’ai acheté une nouvelle édition de la
partition pour l’étudier et redévelopper ses contenus. Et comme
toujours, j’ai donné une grande importance à la compréhension de la
génèse de l’ouvrage et à ses différentes versions, qui sont plutôt
nombreuses dans ce cas précis. Une chose est claire: contrairement à
d’autres expériences passées, je n’ai pas connu ici l’habituel processus
de maturation de mon regard sur la pièce.
Après plusieurs répétitions, que pouvez-vous dire de la distribution?
Elle présente un point très intéressant: les rôles des deux sœurs,
Dorabella et Fiordiligi, sont incarnés par de vraies sœurs. Et ceux qui
chantent Alfonso et Despina ont été mariés dans la vie. Cette
configuration exceptionnelle rend plus facile le développement des idées
et des indications du livret de Da Ponte. Le travail sur la partition
me paraît lui aussi plus aisé.
Ou se situent les défis dans cette partition?
Disons que le Così… présente une écriture typiquement
mozartienne, qui se déploie avec grande simplicité. C’est le cas pour le
rôle d’Alfonso. Mais derrière cette trame limpide, sans significations
cachées, on découvre des traits musicaux extrêmement exigeants. Prenons
par exemple les airs de Fiordiligi: ce sont des passages compliqués qui
s’inscrivent dans les rôles typiques d’une «prima donna». Sur le versant
orchestral, les solos sont tout aussi redoutables. Mais ce qui
m’intéresse au fond, c’est d’incarner au mieux cette idée défendue par
Gluck, qui se disait heureux quand il ne devait pas terminer ses
ouvrages sur un happy end. Le Così… n’en a pas. Le tempo des
dernières mesures n’a rien d’un feu d’artifice. On y trouve, au
contraire, une sorte de résignation: tout ne va pas bien, contrairement à
ce que disent les personnages sur scène. C’est ce qui rend l’œuvre si
stimulante.
Parmi les opéras «italiens» de Mozart, quelle place occupe cet ouvrage?
Il est le premier d’une série de chefs-d’œuvre, il ouvre des pistes qui seront développées par la suite. Si le Così…
avait été son dernier ouvrage, tout le monde l’aurait considéré comme
le plus génial. Le livret de Da Ponte est brillant et Mozart parvient à
donner, ici comme ailleurs, un sens musical à chaque mot.
Comment qualifieriez-vous l’approche du metteur en scène David Bösch?
Nous avons eu peu d’occasions pour discuter, mais à chaque fois la
confrontation de nos opinions a été constructive. Son idée centrale est
de faire incarner l’intrigue par des gens très ordinaires, dépourvus de
toute sophistication. Si on se base sur les costumes, on peut dire qu’on
campe dans les années 50, ce qui me paraît judicieux. Le public est
ainsi confronté à une distanciation historique mais n’est pas pour
autant plongé dans un passé éloigné.
De manière générale, comment vivez-vous la montée en puissance du rôle du metteur en scène dans les productions lyriques?
Je suis un homme d’un certain âge, ce qui me donne le privilège de
dire «non» si des choses ne me conviennent pas. Mais pour mes collègues
plus jeunes, c’est bien plus compliqué: ils doivent se plier davantage
s’ils ne veulent pas disparaître du paysage. Je n’estime pas être un
conservateur, je reste ouvert aux nouvelles propositions pour autant que
le rôle la musique ne soit pas dévalué.
Vous avez débuté la direction très tôt, à l’adolescence. Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous lancer dans cette voie?
La réponse est très simple: je faisais partie d’un chœur pour garçons
et un jour, à l’âge de 13 ans, on m’a proposé la direction des
chanteurs les plus jeune. J’ai ainsi endossé le rôle de chef. Je m’y
suis senti à l’aise et j’ai donc décidé de poursuivre sur ce chemin. Je
me souviens qu’à 15 ans, je me suis retrouvé à diriger des choristes qui
avaient l’âge de mon père et de mon grand-père (rires). A l’époque,
cela me paraissait normal, aujourd’hui, je me dis que ce fut quand même
une expérience étrange.
Qui étaient vos guides et vos modèles à l’époque?
Mon premier guide, qui m’a transmis une certaine assurance, a été le
chef de chœur Rudolf Mauersberger. Un personnage dur et sévère, mais
chaleureux aussi, avec qui j’ai tout appris sur des compositeurs comme
Schütz et Bach, mais aussi sur les romantiques et les modernes du
XXe siècle. D’autres modèles ont suivi plus tard. Kurt Masur par
exemple, ou encore Ievgueni Mravinski, Herbert von Karajan et Pierre
Boulez.
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