Opern

www.concertonet.com, 28. Januar 2011
Le concept de Romeo Castellucci

Treize ans après la reprise d’une production du Nederlandse Opera, la Monnaie confie son nouveau Parsifal à un artiste vierge de toute expérience lyrique, à l’exception d’un Il Combattimento di Tancredi e Clorinda de Monteverdi. Romeo Castelluci est cependant un homme de théâtre aguerri doublé d’un penseur comme le prouvent le concept mis en œuvre et sa remise en cause des réflexions développées sur l’ultime opéra de Wagner. Le metteur en scène et scénographe s’engage à contre-courant de la tradition, s’écarte des interprétations déjà tentées (aucune référence au Troisième Reich) et évacue les références chrétiennes au point de dissimuler la cérémonie du Graal par une toile blanche illustrée d’une virgule. Il substitue ainsi à la Lance et au Cygne d’autres symboles dont le plus saisissant est le serpent albinos: titillant l’oreille d’un portrait de Nietzsche pendant le Prélude, le reptile, par ailleurs métaphore de la musique de Wagner, qui « entache le jugement du philosophe d’une contradiction substantielle », réapparaît au poing de Kundry au deuxième acte. Quant au Graal, il désigne le vide, représenté par un trou noir. Cette mise à plat, cette modélisation et cette reconstruction relèvent d’une lecture personnelle, cérébrale et aussi ambitieuse que prétentieuse. Le résultat s’adresse moins aux novices qu’à ceux qui maîtrisent leur Parsifal. Reproduites dans le programme, les notes malgré tout absconses du metteur en scène et de la dramaturge consultée pour l’occasion doivent, si possible, être parcourues avant la représentation et relues après pour en mesurer la logique.

Si le philosophe se nourrira de la pensée, l’esthète admirera la scénographie qui vaut le déplacement à elle seule. Chaque acte possède son identité et son pouvoir d’émotion: réalisme et pure beauté visuelle pour le premier (une forêt dense, la nuit), audace et sensualité pour le deuxième (une chambre d’une froideur et d’une blancheur cliniques), originalité et humanité pour le troisième (une foule sous un ciel étoilé). Le premier acte est le seul qui suscite une impression mitigée, malgré l’exploit qu’il représente – les arbres disparaissent « comme neige au soleil » pour laisser place à la cérémonie. Se déroulant la plupart du temps dans la pénombre, il n’évite pas le ridicule: un canot pneumatique (sic), des bûcherons munis de brouettes, des chevaliers dissimulés sous un feuillage comme s’ils se prenaient pour la forêt de Birnam. L’idée de représenter Klingsor en chef d’orchestre (« magicien maléfique qui [dirige] la musique des émotions») relève du gag mais il se justifie a posteriori. Dénudées, l’une d’elles exposant ses parties génitales sans pudibonderie (« sexe féminin de la mère comme [...] centre glacé et immobile du drame »), les filles-fleurs sont incarnées par des contorsionnistes qui réalisent une chorégraphie d’un effet stupéfiant. Certaines sont ligotées à la Shibari et suspendues « comme des objets de pure contemplation spirituelle ». Que le lecteur se rassure, la partie vocale est assurée par des chanteuses dissimulées sous les loges royales. Le dernier acte fait l’économie d’un décor puisque la scène, baignant dans le noir, est occupée par une foule d’une centaine de personnes, toutes des figurants bénévoles parmi lesquels se mêlent les membres des Chœurs de la Monnaie qui effectuent d’ailleurs une prestation de premier ordre. Ces hommes et femmes de tous âges marchant (sur un tapis roulant hélas bruyant) en direction des spectateurs constituent une des nombreuses images fortes de ce Parsifal hors norme qui pourrait avec le temps compter parmi les productions légendaires de ce chef-d’œuvre. Prenons-en les paris.

La question des tempi se pose à chaque production du Bühnenweihfestspiel. Ni étirés ni ramassés, ceux pour lesquels opte Hartmut Haenchen, fidèle selon ses dires aux indications de Wagner, semblent toujours naturels, ce qui porte malgré tout la durée de la représentation à quatre heures et cinquante minutes, entractes compris. Fort de sa longue fréquentation de cette partition-fleuve, le chef bénéficie d’un Orchestre symphonique de la Monnaie éblouissant: homogène, précis et nuancé, il livre une prestation de rêve et constante. Le public ne s’y trompe pas puisqu’il leur accorde une chaleureuse ovation lors des saluts mais aussi avant les deuxième et troisième actes. Le rythme de la représentation nécessite un jeu scénique évidement bien peu sportif mais tout en intériorité, ce que réalise la distribution qui comporte quelques prises de rôle réussies. De même que Tómas Tómasson (Klingsor), le formidable Thomas Johannes Mayer confère plus de puissance et de relief à son personnage (Amfortas) qu’Anna Larsson, Kundry malgré tout supérieurement tenue, en particulier dans un deuxième acte accompli. Ténor wagnérien en devenir, Andrew Richards a endossé le rôle-titre pour la première fois la saison dernière au Staatstheater de Stuttgart: habillé en monsieur-tout-le monde, manches de chemise retroussées, il incarne un pur innocent, respectant en cela l’origine étymologiquement de son nom. Du côté des vétérans, Jan-Hendrik Rootering compose un Gurnemanz d’une belle épaisseur, malgré une voix usée mais encore solide, tandis qu’il faut citer l’intervention certes anecdotique de Victor von Halem dans le rôle de Titurel.




Sébastien Foucart