Opern

Nouvel Observateur, 10. Februar 2011
Parsifal: un enchantement musical

Au théâtre Royal de la Monnaie à Bruxelles, "Parsifal", action théâtrale solennelle de Richard Wagner, mise en scène par Romeo Castellucci et dirigée par Hartmut Haenchen.
Une chose est sûre : sur le plan musical, le « Parsifal » de la Monnaie se révèle un enchantement sans faille, dû à une direction d’orchestre aussi précise et soignée qu’elle est intelligente et inspirée, à un orchestre remarquable, à de superbes solistes de qualité fort homogène
Pour demeurer fidèle à sa réputation d’audace artistique, parvenue à son acmé au temps de Gérard Mortier et poursuivie du temps de Bernard Foccroule, le Théâtre royal de la Monnaie a choisi l’iconoclaste qu’est Romeo Castellucci afin qu’il conçoive la mise en scène de "Parsifal". Il a aussi choisi, pour diriger l’ouvrage, un chef d’orchestre qui s’est révélé un magnifique wagnérien, Hartmut Haenchen.

Enchantement musical
Une chose est sûre : sur le plan musical, le "Parsifal" de la Monnaie se révèle un enchantement sans faille, dû à une direction d’orchestre aussi précise et soignée qu’elle est intelligente et inspirée, à un orchestre remarquable, à de superbes solistes de qualité fort homogène, Anna Larsson en Kundry, Andrew Richards en Parsifal, Jan-Hendrik Rootering en Gurnemanz, Thomas Johannes Mayer en Amfortas ou Tomas Tomasson en Klingsor. A des filles-fleurs encore dont le chant déroule ses méandres séducteurs dans un climat de sensualité et d’ harmonie enchanteresses.

Le rêve d’un metteur en scène
"Face à 'Parsifal', écrit Romeo Castellucci, j’ai oublié tout ce que je savais…J’ai fermé les yeux et j’ai écouté vingt fois, puis cent fois cette musique, cette chose. Puis j’ai dormi. J’ai refait tout le 'Parsifal' dans un état d’amnésie du début à la fin…J’ai vu des choses. J’ai vu le visage, la face immense du Philosophe qui, plus que les autres, a considéré la musique comme une partie essentielle de la vie, et qui mieux que les autres a su aimer/haïr le Musicien. J’ai vu la danse d’un serpent albinos, comme la métaphore de sa musique (celle de Wagner) et j’ai vu que son venin pouvait devenir médecine. J’ai vu un grand bois, une forêt qui fondait comme neige au soleil. J’ai vu des hommes cachés dans le bois, non parce qu’ils sont chasseurs, mais parce qu’ils tremblent de peur…J’ai vu une chambre blanche, propre, et un magicien maléfique qui dirigeait la musique des émotions ; j’ai vu le nom terrible des poisons qui tuent l’homme. J’ai vu des femmes liées et suspendue en l’air comme des objets de pure contemplation spirituelle…
J’ai vu une ville renversée. Et lui (Parsifal) cheminait encore, et le chemin était sa prière…Je n’ai vu aucun calice, aucune lance sacrée, aucun faux Moyen Âge. Je n’ai pas vu le sang d’une race. Je n’ai vu aucun homme nouveau. Je n’ai vu ni peuple, ni communauté, mais une foule anonyme qui avançait, au milieu de laquelle je me trouvais aussi. Je n’ai pu voir aucune croix gammée, même dans les profondeurs ; pas plus qu’une croix chrétienne d’ailleurs…"

Un portrait de Nietszche
Tout comme l’ouverture d’un opéra peut permettre d’appréhender ce que sera la nature musicale de l’ouvrage, le texte de Castellucci raconte très clairement ce que sera sa mise en scène.
De ses visions, après le prélude accompagné d’un gigantesque portrait de Nietszche, est né un premier acte surprenant, plongé dans un oppressant climat. Castellucci l’a enfoui sous une surabondance de feuillage, mais sous une surabondance telle que même les personnages y sont recouverts de verdure à la manière des figures d’Arcimboldo.

Comme les Schtroumpfs
De la pénombre d’une nuit d’abord scintillante qui ne parviendra jamais à se dissiper vraiment, mais que blesse l’éclat aveuglant de lampes torches, naît un sentiment de cauchemar qui n’a pas de fin : ce cauchemar que vivent les chevaliers du Graal, dont le roi souffre mille morts pour avoir un jour succombé au péché, et qui paraissent vivre dans la terreur d’être repérés par Klingsor, au sein des bois où ils se terrent, un peu comme les Schtroumpfs sont apeurés par l’infâme Gargamel. Mais là où la surabondance de verdure, de dramatique devient indigeste, c’est au moment où l’on est censé parvenir au château du Graal à la suite de Gurnemanz et de Parsifal et où l’on retrouve les chevaliers réunis autour d’Amfortas, plus feuillus encore, plus hirsutes que des soldats américains en tenue de camouflage.

L’insoutenable éclat du Graal
C’est alors toutefois qu’a été inspirée à Castellucci la plus magnifique idée de tout son ouvrage, la seule sans doute qui marquera et justifiera qu’on l’ait employé à la Monnaie.
A l’instant où doit s’élever le Graal, à l’instant où la partition de Wagner touche au sublime, à l’indicible, d’immenses rideaux blancs viennent occulter la scène à la vue des spectateurs, comme si ce qui allait s’y dévoiler était par essence insoutenable au regard de simples mortels. Derrière le voile immaculé vibre alors la lumière aveuglante que diffuse le vase sacré qui recueillit le sang du Christ, inaccessible à la vision des hommes. Et c’est là, suspendu dans le temps, noyé dans la musique, un moment d’extase d’un incroyable intensité.

Uniformément blanc, uniformément gris
On a désormais atteint le sommet de la représentation. Car hélas, les scènes suivantes n’auront ni cette puissance, ni cette beauté. De l’univers sado-masochiste et uniformément blanc du magicien Klingsor où sont suspendues des femmes encordées comme des jambons, à celui uniformément gris du troisième acte où Parsifal, entouré d’une foule terne, part dans une marche interminable à la rencontre du Graal, il n’y a pas grand chose qui paraisse convaincant. Rien qui ne s’élève à la hauteur du mythe.

Energie morne
Pas de lance sacrée arrachée au pouvoir malsain de Klingsor. Pas de calice miraculeux élevé au milieu de la ferveur extatique des chevaliers du Graal : en jeans et chemise de confection, ceux-ci se fondent dans la foule grisâtre en marche que domine bientôt le plaintif Amfortas, sans compter l’indispensable serpent albinos brandi à bout de bras. La rédemption ne viendra ni Ciel ni du sang du Christ. Il n’y a pas de rédemption d’ailleurs, au sens chrétien du terme, mais seulement une énergie morne, uniforme, née de la peur vaincue, et une voie toute tracée vers un futur laborieux et sans joie sous la conduite d’un Parsifal qui prend l’apparence inquiétante d’un leader charismatique un peu grisâtre et, qui sait, d’un futur tyran.
Raphaël de Gubernatis