Opern

www.altamusica.com, 20. Juni 2012
Un Tannhäuser de musique

Entre japonisme et abstraction, la mise en scène trop sage du nouveau Tannhäuser du Capitole de Toulouse confié à Christian Rizzo fait qu’on retiendra la production avant tout pour ses forces musicales, et notamment la direction de Hartmut Haenchen, qui compense assez largement les carences théâtrales de la partie scénique.

Tannhäuser est une œuvre assez dense pour pouvoir se prêter aux lectures les plus radicales. Dès le lever du rideau, au moment de la bacchanale, il est aisé de prévoir dans quel sens ira la mise en scène : grand spectacle jouant à fond sur l’opposition entre la chair et l’esprit, interrogation sur les tourments de la création artistique, fable médiévale soigneusement enluminée ou récit intemporel, d’une actualité toujours aussi brûlante ?

Dans la nouvelle production que propose le Théâtre du Capitole, en partenariat avec le Centre de développement chorégraphique de Toulouse-Midi Pyrénées, les premières images surprennent par leur sagesse et leur dépouillement extrêmes. L’on s’ennuie ferme au Venusberg, devant les évolutions de ces quelques danseurs qui se frôlent ou se basculent sans une once de sensualité.

Sous une lumière blafarde, dans un décor abstrait, ils se livrent à de savants exercices gymniques mais ne laissent rien transpirer d’une quelconque ivresse charnelle. Intimidé peut-être par l’ampleur de la tâche qui s’offrait à lui, Christian Rizzo ne change pas de cap durant les trois longs actes qui vont suivre ; il assure une sorte de service minimum, en se refusant, comme il le déclare lui même dans le programme de salle, de « saturer le visuel ».

On reconnaît l’habileté du plasticien à sa façon de gérer avec la même géométrie rigoureuse les déplacements des chœurs ou les faibles mouvements des protagonistes. Si l’on excepte les accoutrements farfelus des spectateurs du tournoi de la Wartburg, ainsi que les tenues provocantes de Vénus – au dernier acte en particulier, lorsqu’elle nous apparaît telle une icône symboliste maléfique –, tout ce que l’on voit sur scène appartient à un monde froid et sombre, dont se détachent à de rares moments (départ des pèlerins, scène finale) quelques petites loupiotes clignotantes. Lueurs fragiles de la rédemption ?

C’est donc à d’infimes détails (cette trace de rouge par exemple qui s’attache au souvenir de Vénus), à quelques trouvailles plastiques composées avec goût, qu’il faut deviner où se situe l’originalité artistique de Christian Rizzo et de ses principaux collaborateurs. Est-ce suffisant pour ajouter à la musique de Wagner une dimension théâtrale forte ?

Cette force, elle émane toujours de l’orchestre, dirigé avec autant de fougue que de précision par Hartmut Haenchen. En choisissant la version la plus complète de l’ouvrage, celle préparée pour l’Opéra de Vienne en 1875, le chef allemand dispose d’un effectif de plus de cent-vingt musiciens, dont il obtient une prestation d’une rare cohérence, capable de restituer idéalement les climats tourmentés du drame.

Un même souffle passionné et une même richesse de nuances se retrouvent chez les Chœurs du Capitole (renforcés eux aussi), qu’une fois encore Alfonso Caiani maintient à leur plus haut niveau.

Le plateau des solistes est à l’avenant, solide et homogène à la fois. Autant de grandes voix puissantes et franches, à commencer par celle de Peter Seiffert, qui dote le rôle-titre d’une énergie à toute épreuve. Pour l’avoir interprété déjà sur bien des scènes, ce vaillant ténor en connaît tous les secrets. Regrettons pourtant que sa présence massive et son jeu plus que limité constituent un handicap évident pour la respiration générale de la mise en scène.

Plus mobile et surtout nettement plus subtil dans son chant (sublime Romance à l’étoile), Lucas Meachem est un Wolfram noble et chaleureux, proche de l’idéal. Excellents également, le Landgrave (Christof Fischesser) et les quatre autres troubadours (Maxim Paster, Andreas Bauer, Paul Kaufmann, Richard Wiegold).

Sans démériter pour autant, les deux principales interprètes féminines apparaissent d’un niveau sensiblement inférieur. Petra Maria Schnitzer a la fermeté de ton et au besoin la grande puissance vocale que requiert le rôle d’Elisabeth. Il lui manque la luminosité, la grâce et surtout cette impression de sublime qui doivent aussi porter la marque du ciel.

Dans une tessiture un rien trop large pour ses moyens naturels, Jeanne-Michèle Charbonnet incarne une Vénus plus véhémente que sensuelle, impressionnante néanmoins par sa haute tenue dramatique. Avec une exquise fraîcheur, Anna Schoeck apporte dans cet ensemble bien sombre la note claire qui accompagne la brève intervention du Pâtre.
Pierre CADARS