Opern

L'Avant-Scène Opéra, 20. Juni 2012
Monter la version de Vienne (1875) de Tannhäuser avec son orchestration pléthorique dans le cadre intimiste du Théâtre du Capitole était un défi périlleux. Rendre justice à la magnificence sonore de la partition en évitant d’écraser l’espace sonore est une gageure, et la direction enthousiaste de Harmut Haenchen n’a pas évité l’écueil d’une saturation parfois déséquilibrante, même si l’Orchestre national du Capitole, augmenté de nombreux supplémentaires et disposé en une spatialisation intéressante, a laissé poindre de beaux moments : l’ouverture et ses cors ainsi que les moments chambristes furent les plus appréciables. Même pari avec les chœurs, que l’ouvrage soumet à rude épreuve tant dans la justesse que dans la mise en place ou l’énergie : le Chœur du Capitole s’engage à plein, sans échapper pourtant à quelques défaillances de hauteur (les hommes) ou de soutien (les sopranos).

Du côté des protagonistes – tous issus d’une longue expérience wagnérienne internationale donc promettant beaucoup sur le papier –, le plateau vocal semble partagé en deux univers qui recoupent fortuitement le Venusberg et la Wartburg. Au premier acte, la Vénus de Jeanne-Michèle Charbonnet déçoit en raison d’un vibrato très envahissant et d’une permanente tension expressive qui oublie nuances et séduction du personnage. Avec le Tannhäuser de Peter Seiffert semblant lui aussi au bord de ses limites sans pour autant se ménager, le dilemme de leur séparation sonne bien plus comme une scène de ménage à décibels que comme un dialogue passionné entre désirs divins et aspirations humaines. Il faut dire que le costume de Vénus ajoute à la trivialité de leurs échanges, sa choucroute décoiffée et ses ongles fluo renforçant un aspect « mégère » fort malvenu.

Au second acte, c’est – enfin – l’irruption de la musique, de la nuance, de la magie wagnérienne donc. Belle Elisabeth de Petra Maria Schnitzer, délicate et émouvante ; digne Hermann de Christof Fischesser, même si l’apparence reste un peu jeune pour le Landgrave ; superbe Wolfram de Lucas Meachem, à la rondeur et au lyrisme réconfortants. Il fait aussi, en partie, le prix du IIIe acte, où l’exacerbation jusqu’au-boutiste de Peter Seiffert trouve alors sa pleine justification dramatique, et parvient désormais à impressionner et toucher.

Signée du chorégraphe Christian Rizzo, la mise en scène dévoile sans surprise sa singularité dans la Bacchanale, dansée sur un mode organique par des corps fusionnels – dégageant néanmoins plus de paix et de tendresse que de volupté ou d’excitation. Le paradoxe n’en rend pas moins la proposition chorégraphique intéressante, même si son retour à l’acte III est trop discret pour marquer vraiment. La scénographie, d’une sobriété extrême, repose sur des choix à la fadeur étonnante car commune aux « deux mondes » traversés par le héros : une architecture froide de paroi minérale au Venusberg et de palais de marbre verdâtre à la Wartburg, des éclairages diffus (que les représentations suivantes synchroniseront sans doute mieux avec les déplacements de personnages) voire glauques. Sa neutralité pourrait être l’écrin d’une direction d’acteurs aiguisée mais Christian Rizzo n’offre pas de vraie intériorité à des poses souvent stéréotypées. A l’extrême opposé se situent les costumes de Michaela Bürger, certes foisonnants et inventifs (entre heroic fantasy et grunge hype, néo-japonisme et superpositions) mais confinant au défilé de mode ; si la note de programme met en avant la volonté d’engoncer l’assemblée de la Wartburg dans des contraintes vestimentaires signifiantes, l’effet produit est tout autre – déconcentration du regard et sentiment de fantaisie débridée ! La production ne convainc donc pas, l’exécution musicale ne séduit que par moments, mais il reste un challenge audacieux que le public toulousain reçoit avec chaleur.
Chantal Cazaux