Sinfoniekonzerte

www.forumopera.com, 10. Dezember 2010
www.forumopera.com9.12.2010

A taille humaine

Remarqué à l’Opéra de Paris pour un Parsifal, une Lady Macbeth de Mzensk ou un Wozzeck qui ont laissé aux spectateurs présents le souvenir de grandes heures orchestrales, Hartmut Haenchen était de retour dans la capitale, cette fois au Théâtre des Champs-Elysées, et avec l’Orchestre National de France, dans un programme à l’austérité affichée et d’autant plus remarquable que les semaines précédant Noël se prêtent généralement à des concerts festifs; avec Haydn et Brahms, on plongeait ce soir au cœur d’un répertoire plutôt tourmenté.
Dans la 44e Symphonie de Haydn, surnommée « Funèbre » après que le compositeur eut émis le souhait de la faire jouer pour son enterrement, Haenchen affiche une constance rythmique, un équilibre formel, une fluidité naturelle qui marquent le spectateur habitué au travail plus vert, plus nerveux, plus sec parfois, effectué par les musiciens venus du monde du baroque. Pas vraiment de relecture philologique, ici (à moins qu’aujourd’hui, ce soit précisément ce type de version qui devienne relecture ?), mais un travail sur le son et sur les nuances simplement classique, à la spontanéité savamment maîtrisée. Comme dans ses Mozart publiés en DVD par Euroarts, le chef Allemand impose avec évidence, et sans aucun passéisme, un style apollinien, une optique sereine offrant à la musique son ton juste, sa libre respiration.
Cet Haydn élégant et mesuré présente aussi l’avantage, et là n’est pas sa moindre qualité, d’amener le plus naturellement du monde un Brahms là aussi poussé plus volontiers dans ses fondations classiques que vers ses prolongations postromantiques. Par culture, par tempérament, Hartmut Haenchen cherche avant tout à scruter les profondeurs de la partition, en évitant les coups d’éclat et les affects qui, rendant le Requiem Allemand extraverti, lui feraient perdre de sa lumière intérieure. Les toutes premières mesures du mouvement introductif (« Selig sind, die da Leid tragen ») donnent vite le ton d’une lecture où la modération intrinsèque des tempi n’empêche pas la musique de se mettre en mouvement et de trouver d’emblée une pulsation vitale (on voudrait presque parler de battement), une vibration organique qui ne se relâche jamais. Au risque de verser dans un raccourci un peu superficiel, on apprécie cette simplicité et cette humilité, ce refus de l’outrance et de l’effet facile dans une œuvre liturgique écrite (par le compositeur lui-même) d’après la bible luthérienne. Pas seulement parce que ces qualités sont censées caractériser au mieux l’idée que l’on se fait du protestantisme ; aussi et surtout parce que Brahms, dans son Requiem, parle des hommes qui restent davantage que de ceux qui partent, et qu’en s’éloignant du grandiose ou du sublime, Haenchen nous laisse entendre une œuvre dont l’authenticité et l’humanisme prennent racine chez les Lumières. Jamais ce Requiem à taille humaine n’aura été si peu « allemand » : en respectant sa juste dimension spirituelle, Hartmut Haenchen fait au contraire comprendre sa vocation universelle.
Il est en cela remarquablement secondé par les forces vocales de cette soirée. On avait déjà aimé les déchirures du Wotan de Thomas Johannes Mayer à l’Opéra Bastille en fin de saison dernière. Dans une partition moins pharaonique, et dans une salle à l’acoustique plus propice, le baryton allemand fait oublier encore plus facilement les duretés naturelles de son timbre pour narrer son texte avec ce mélange idéal de gravité et de bonhomie un peu bourrue, là encore pétri d’humanité. Naturellement plus angélique (mais au fond qui s’en plaindra ?), Christiane Oelze inscrit pleinement son « Ihr habt nun traurigkeit » dans la lignée de ceux que toutes les grandes mozartiennes nous ont offert. Le phrasé, le format, la substance même du timbre, au fruité presque jovial, tout est, là encore, parfaitement coordonné avec les choix du chef. Le Chœur de Radio France, admirablement préparé par Matthias Brauer, montre lui aussi un remarquable équilibre : puissant mais sans tonitruance, admirable de legato sans sacrifier la clarté de l’élocution, il confirme une fois de plus son excellente santé.
Clément Taillia