Opera

www.resmusica.com, 30. November 2010
L’opéra d’Amsterdam a osé monter Die Soldaten de Zimmermann ! L’exploit est de taille car l’œuvre, tout comme le Saint-François d’Assise de Messiaen, occupe une place dans l’histoire de la musique contemporaine, mais reste une gageure à produire et donc une rareté au répertoire des scènes lyriques ! 16 chanteurs, 10 acteurs et un orchestre de 100 musiciens sont nécessaires pour affronter ce monument, sans oublier des artistes d’une endurance exceptionnelle pour se jouer des redoutables tessitures des rôles et des monstruosités techniques de la partition. L’opéra d’Amsterdam, qui a (pour l’instant encore !) les moyens financiers de ses ambitions, importe une production saxonne (Sächsische Staatsoper Dresden, 1995) et offre une distribution vocale magistrale à la hauteur de l’œuvre.
Solide routier de la mise en scène, Willy Decker est un professionnel qui n’en rajoute jamais dans les effets faciles. Dès lors, sa mise en scène se veut simple et efficace, plus symbolique que suggestive. En collaboration avec son équipe scénique, il impose un monde étouffant réduit à quelques couleurs symboliques des statuts sociaux : blanc, gris-noir, rouge et jaune. Le conformisme social, les rigidités et la violence de cet univers sortent renforcés de ce travail à la pudique mais intelligent et juste. La scène finale où le décor incliné suit le martèlement des tambours, plonge le spectateur au comble de la violence et des tensions sans verser une goûte de pathos facile !
Musicalement, l’œuvre à la réputation d’être injouable et surtout inchantable avec des rôles à l’amplitude inhumaine et aux contrastes vocaux extrêmes. L’équipe de chanteurs réunie par le DNO se joue des difficultés de la partition et d’une mise en scène qui les soumettent à des exercices physiques intenses. Tous méritent des éloges, mais la prestation de Claudia Barainsky, en Marie, emporte l’enthousiasme du public et l’artiste récolte, justement, de longues acclamations. La performance de cette artiste est mémorable avec une sidérante faculté à passer tous les pièges vocaux du rôle. Fidèle de l’Opéra d’Amsterdam dont il fut le directeur musical, Hartmut Haenchen est à la fois extrêmement précis et attentif à la tête d’un orchestre philharmonique des Pays-Bas toujours concentré et virtuose. Le chef fait attention à calmer une machine orchestrale puissante et il fait ressortir de nombreux détails de l’orchestration tout en mettant en avant la radicalité du compositeur qu’il évite de tirer trop tirer vers Berg pour en faire un véritable novateur. L’exploit physique et intellectuel et de taille et le chef et les instrumentistes bénéficient d’une standing ovation du public amstellodamois venu en nombre assister à un spectacle sans aucun doute historique pour le théâtre hollandais et pour la postérité de cette œuvre !
La très haute qualité de ce spectacle rend tout de même rageur en voyant que le gouvernement néerlandais fait planer de nombreuses et orageuses menaces sur le financement de la culture aux Pays-Bas !
Pierre-Jean Tribot