Opera

http://fr.groups.yahoo.com/group/classique-fr, 08. February 2011
Treize ans après la reprise d’une production du Nederlandse Opera, la
Monnaie confie son nouveau Parsifal à un artiste vierge de toute expérience
lyrique, à l’exception d’un Il Combattimento di Tancredi e Clorinda de
Monteverdi. Romeo Castelluci est cependant un homme de théâtre aguerri
doublé d’un penseur comme le prouvent le concept mis en œuvre et sa remise
en cause des réflexions développées sur l’ultime opéra de Wagner. Le metteur
en scène et scénographe s’engage à contre-courant de la tradition, s’écarte
des interprétations déjà tentées (aucune référence au Troisième Reich) et
évacue les références chrétiennes au point de dissimuler la cérémonie du
Graal par une toile blanche illustrée d’une virgule. Il substitue ainsi à la
Lance et au Cygne d’autres symboles dont le plus saisissant est le serpent
albinos: titillant l’oreille d’un portrait de Nietzsche pendant le Prélude,
le reptile, par ailleurs métaphore de la musique de Wagner, qui « entache le
jugement du philosophe d’une contradiction substantielle », réapparaît au
poing de Kundry au deuxième acte. Quant au Graal, il désigne le vide,
représenté par un trou noir. Cette mise à plat, cette modélisation et cette
reconstruction relèvent d’une lecture personnelle, cérébrale et aussi
ambitieuse que prétentieuse. Le résultat s’adresse moins aux novices qu’à
ceux qui maîtrisent leur Parsifal. Reproduites dans le programme, les notes
malgré tout absconses du metteur en scène et de la dramaturge consultée pour
l’occasion doivent, si possible, être parcourues avant la représentation et
relues après pour en mesurer la logique.

Si le philosophe se nourrira de la pensée, l’esthète admirera la
scénographie qui vaut le déplacement à elle seule. Chaque acte possède son
identité et son pouvoir d’émotion: réalisme et pure beauté visuelle pour le
premier (une forêt dense, la nuit), audace et sensualité pour le deuxième
(une chambre d’une froideur et d’une blancheur cliniques), originalité et
humanité pour le troisième (une foule sous un ciel étoilé). Le premier acte
est le seul qui suscite une impression mitigée, malgré l’exploit qu’il
représente – les arbres disparaissent « comme neige au soleil » pour laisser
place à la cérémonie. Se déroulant la plupart du temps dans la pénombre, il
n’évite pas le ridicule: un canot pneumatique (sic), des bûcherons munis de
brouettes, des chevaliers dissimulés sous un feuillage comme s’ils se
prenaient pour la forêt de Birnam. L’idée de représenter Klingsor en chef
d’orchestre (« magicien maléfique qui [dirige] la musique des émotions»)
relève du gag mais il se justifie a posteriori. Dénudées, l’une d’elles
exposant ses parties génitales sans pudibonderie (« sexe féminin de la mère
comme [...] centre glacé et immobile du drame »), les filles-fleurs sont
incarnées par des contorsionnistes qui réalisent une chorégraphie d’un effet
stupéfiant. Certaines sont ligotées à la Shibari et suspendues « comme des
objets de pure contemplation spirituelle ». Que le lecteur se rassure, la
partie vocale est assurée par des chanteuses dissimulées sous les loges
royales. Le dernier acte fait l’économie d’un décor puisque la scène,
baignant dans le noir, est occupée par une foule d’une centaine de
personnes, toutes des figurants bénévoles (dont Bruno le terrible et
Véronique) parmi lesquels se mêlent les membres des Chœurs de la Monnaie qui
effectuent d’ailleurs une prestation de premier ordre. Ces hommes et femmes
de tous âges marchant (sur un tapis roulant hélas bruyant) en direction des
spectateurs constituent une des nombreuses images fortes de ce Parsifal hors
norme qui pourrait avec le temps compter parmi les productions légendaires
de ce chef-d’œuvre. Prenons-en les paris.

La question des tempi se pose à chaque production du Bühnenweihfestspiel. Ni
étirés ni ramassés, ceux pour lesquels opte Hartmut Haenchen, fidèle selon
ses dires aux indications de Wagner, semblent toujours naturels, ce qui
porte malgré tout la durée de la représentation à quatre heures et cinquante
minutes, entractes compris. Fort de sa longue fréquentation de cette
partition-fleuve, le chef bénéficie d’un Orchestre symphonique de la Monnaie
éblouissant: homogène, précis et nuancé, il livre une prestation de rêve et
constante. Le public ne s’y trompe pas puisqu’il leur accorde une
chaleureuse ovation lors des saluts mais aussi avant les deuxième et
troisième actes.
Le rythme de la représentation nécessite un jeu scénique
évidement bien peu sportif mais tout en intériorité, ce que réalise la
distribution qui comporte quelques prises de rôle réussies. De même que
Tómas Tómasson (Klingsor), le formidable Thomas Johannes Mayer confère plus
de puissance et de relief à son personnage (Amfortas) qu’Anna Larsson,
Kundry malgré tout supérieurement tenue, en particulier dans un deuxième
acte accompli. Ténor wagnérien en devenir, Andrew Richards a endossé le
rôle-titre pour la première fois la saison dernière au Staatstheater de
Stuttgart: habillé en monsieur-tout-le monde, manches de chemise
retroussées, il incarne un pur innocent, respectant en cela l’origine
étymologiquement de son nom. Du côté des vétérans, Jan-Hendrik Rootering
compose un Gurnemanz d’une belle épaisseur, malgré une voix usée mais encore
solide, tandis qu’il faut citer l’intervention certes anecdotique de Victor
von Halem dans le rôle de Titurel.

Sébastien Foucart