Opera

www.lesinrocks.com, 02. February 2011
Opéra: la beauté inouïe du "Parsifal" de Castellucci

Pour ses premiers pas à l’opéra, avec "Parsifal" de Richard Wagner, Romeo Castellucci signe une mise en scène inouïe de beauté vénéneuse, sous l’impressionnante direction musicale d’Hartmut Haenchen.
Œuvre testamentaire sous forme de rituel religieux voué à l’art, vilipendée par Nietzsche, récupérée par le troisième Reich, encombrée de signes moyenâgeux symbolisant la quête du Graal, Parsifal, c’est du lourd…

Autant d’oripeaux balayés par Romeo Castellucci en un geste radical autant qu’inoubliable qui pose comme postulat : Graal = vide, et substitue aux images attendues celles que lui inspire l’esprit philosophique de Parsifal. Un défi analogue à celui que se pose Wagner, rappelle le chef d’orchestre Hartmut Haenchen :
"Ici, le temps devient espace." Cette citation de Parsifal résume "la spécificité d’une œuvre qui n’est ni un opéra, ni un drame, ni un oratorio. Mais une structure moderne, dialectique, binaire, d’action et de réflexion. La notion traditionnelle d’action est abolie. Action et réflexions s’entrelacent."


De l’indistincte nature humaine, végétale et animale, qui bruisse dans la forêt du premier acte, à l’aveuglante dissipation des formes dans la blancheur hypnotique du deuxième acte, on s’enfonce irrémédiablement dans l’informe de la foule anonyme et obscure sur fond de mégapole aux tours vertigineuses. L’indétermination ontologique de Parsifal, le pur innocent, se propage de la musique au décor, des corps aux lumières, ne délivrant de signes qu’ambivalents et paradoxaux.

Devant l’immense portrait de Nietzsche peint sur le rideau de scène, un serpent albinos se balance sur un trapèze durant tout le prélude, en des volutes étranges qu’il poursuivra plus tard dans les bras de Kundry. Sombre et luxuriante, la forêt habille les corps des interprètes, se fond en eux. Des arbres tombent, immenses et silencieux, des clairières s’ouvrent sur des clartés d’aubes qui amplifient les chants ou le grondement des cordes. Une nature dévorante où la mort se nourrit de la vie, comme le rappelle la liste des poisons mortels pour l’homme qui inaugure l’acte 2, cet espace vide et blanc où officie Klingsor en son royaume enchanté peuplé de filles-fleurs, obligeant Kundry à séduire Parsifal.

En dédoublant les personnages entre les chanteurs, danseuses et acrobates, Romeo Castellucci donne libre cours à ses visions :
"J’ai vu la danse d’un serpent albinos. L’erreur qui devient errance. (…) J’ai vu des femmes liées et suspendues en l’air comme des objets de pure contemplation spirituelle. J’ai vu briller le sexe féminin de la mère comme le centre glacé et immobile du drame. (…) J’ai vu une ville renversée. Je n’ai vu aucun homme nouveau. Je n’ai vu ni peuple ni communauté, mais une foule anonyme qui avançait…"
L’incroyable puissance visuelle et dramaturgique de son théâtre se saisit de la "matière" opéra comme d’un espace d’amplification, musical et vocal, dont il use en osant l’impensable. Un coup de maître !
Fabienne Arvers