Opern

http://www.ruedutheatre.eu, 15. Februar 2011
Le Roi Richard

Richard Wagner est une personnalité sulfureuse. Ses amitiés, ses opinions politiques ont pu être ambiguës. Ce n'est pas ce qui nous importe pourtant. Seule compte sa musique, éprouvante autant qu'émouvante, toute pleine d'une angoisse terrible de l'existence, âpre et profondément humaine. Le chef Hartmut Haenchen, à la direction de l'Orchestre symphonique de la Monnaie, la rend avec justesse, modestie et précision. On ne ressort pas tout à fait indemne d'un tel voyage !
Que les néophytes ne rougissent pas : cinq heures de spectacle, c'est long, très long. Rien de plus normal que, soumise à rude épreuve, l'attention du spectateur faiblisse de loin en loin. Le jeu, cependant, en vaut largement la chandelle ! Écouter Parsifal, écouter ce magma primitif de sons purs et de chants ancestraux, comme une forme émergeant du chaos, insaisissable mais resplendissante, transcendante, c'est s'embarquer pour une expérience presque ontologique, une plongée au coeur de l'âme humaine, entre piété craintive et rébellion vaine face à des dieux immenses et sourds aux appels de l'homme.
C'est sûrement la plus grande qualité – et quelle qualité ! – de l'excellente mise en scène de Romeo Castellucci : il laisse, non pas la première place, mais presque toute la place à la musique. L'ouverture est ainsi jouée dans une obscurité totale, la première moitié du premier acte se déroule dans la pénombre épaisse d'une forêt profonde... Lumineux !
La musique naît, s'amplifie, s'élève et tournoie dans un silence pénétré de religiosité, mystique par endroits, en se suffisant à elle-même. Le spectateur l'entend comme la respiration d'un gros animal tapi dans l'ombre, il l'écoute comme on écoute le chant des moines dans les travées d'une église multiséculaire, conscient de toucher là au sacré. La belle humilité que celle de Romeo Castellucci qui a compris que son travail était comparable à celui d'un joaillier : il sertit, mais c'est la pierre qui brille.

Une scénographie somptueuse
La mise en scène perd un peu de cette sobriété dans les deux actes suivants, au profit d'effets scéniques pas toujours heureux. Quel ennui, par exemple, que ce gigantesque tapis roulant au troisième acte, non seulement parfaitement inutile et lassant (pourquoi n'avoir pas paré ce long passage instrumental de l'obscurité qui lui seyait si bien à l'acte I ?), mais encore excessivement bruyant – il est à peine exagéré de dire qu'on n'entendait que lui !
À part ce défaut majeur (parce que préjudiciable au confort d'écoute, et donc d'immersion, du spectateur), les tableaux sont souvent très réussis, voire grandioses : la lente ouverture de la forêt, le dévoilement du Graal ou la blessure d'Amfortas et la tache d'ombre funeste qui s'étend sur ses compagnons à l'acte I ; le baiser de Kundry à Parsifal, virtuellement amplifié, à l'acte II. L'émotion du spectateur est forte, violente et belle. Certaines images sont d’une beauté à couper le souffle.
La performance des chanteurs est remarquable – et l'on sait la difficulté du chant wagnérien. Andrew Richards campe un Parsifal très convaincant ; Anna Larsson conduit avec maestria le rôle de Kundry, particulièrement éprouvant à l'acte II. Toute la troupe est excellente, ainsi que les choeurs – notons la prestation des femmes-fleurs au deuxième acte – et l'orchestre, mesuré et intelligent.
Avec ce Parsifal, le spectateur est plongé dans un monde magique, mouvant et mystérieux, empreint d'une violence tribale et pure, entre lumières et ténèbres : les visages sauvagement grimés, les graffitis comme des plaies sur les murs, l'esthétique sm des femmes attachées à des cordes ainsi que des pantins désarticulés...
Les images sont dures, fortes, sombres autant que la musique et pénètrent le spectateur par chaque cellule de son corps, chaque pore de sa peau. Avec la solennité et la noblesse du chant religieux, entre explorations musicales et imaginaires mythologiques, Wagner, plus de cent ans après, nous offre un chef-d'oeuvre toujours aussi ébouriffant. Comme il le désirait, l'expérience est totale.
Thibaut RADOMME